Question à Véronique WESTERLOPPE, exégète
Vivre la mission, c'est annoncer, dans le monde présent, un événement qui s'est produit il y a 2000 ans. Comment ce mystère rejoint-il nos vies et le monde d’aujourd’hui ?
Véronique Westerloppe : Saint Paul nous donne des clefs pour le comprendre et le vivre : aux Romains, il écrit : « Nous avons été ensevelis avec le Christ par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions, nous aussi, dans une vie nouvelle. » (Rm 6,3-4) Ainsi par le baptême, le disciple, rempli de l’Esprit du Ressuscité naît à une vie nouvelle ; il est rendu capable d’engendrer un monde nouveau. La Résurrection du Christ nourrit son espérance et engage sa vie. Saint Paul écrit encore « La Résurrection déploie sa puissance dans l’histoire humaine par un ministère de réconciliation », dont l’Eglise, et donc chaque baptisé, a la charge. (…) « Nous sommes donc en ambassade pour le Christ » (2 Co 5, 18-20).
Dans l’Évangile, Jésus lui-même annonce le programme de la mission : « Il me faut annoncer la bonne nouvelle du Royaume de Dieu, car c’est pour cela que j’ai été envoyé » (Lc 4, 43). La proposition faite aux futurs disciples est bien d’instaurer le Royaume de Dieu, c’est-à-dire de laisser Dieu régner dans le monde à travers les charismes diversifiés des disciples du Christ et avec sa grâce. Le témoignage de la Résurrection implique à la fois une dimension d’annonce et de pratique de la justice et de la charité.
Saint Luc (Ac 8, 26-40) dessine, par exemple, une figure de disciple missionnaire catéchiste, en la personne de Philippe. Conduit par l’Esprit, celui-ci rejoint le char d’un eunuque, haut fonctionnaire de la reine d’Ethiopie, et fait œuvre de guide et de témoin pour que ce dernier accède à une plus grande intelligence de la foi.
Mais être disciple-missionnaire, c’est aussi « sortir vers les autres pour aller aux périphéries humaines », écrit le pape François. La figure du bon Samaritain (Lc 10, 25-37) est exemplaire du disciple qui ne passe pas son chemin devant le plus petit et qui devant l’urgence de la situation cesse toute activité pour prendre soin de l’homme blessé…
Dans l’évangile de Jean (Jn 4), la Samaritaine fait une vraie rencontre avec le Christ, dans un climat de pleine liberté. Cette rencontre lui fait faire un chemin de vérité et de foi. Et cette expérience forte et authentique lui donne un élan missionnaire. Elle ne peut pas garder pour elle ce qu’elle vient de vivre : la joie de sa rencontre avec le Christ et le Salut reçu de lui. Elle abandonne sa cruche, court à la ville et dit aux gens : « Venez donc voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Messie ? » C’est bien parce qu’elle a fait l’expérience concrète du Salut dans sa vie qu’elle est devenue disciplemissionnaire, annonçant en des termes très concrets le fruit de cette rencontre à ses compatriotes, et agissant envers eux comme un témoin authentique et accompli, dans la mesure où elle a mis les Samaritains en contact direct avec Jésus.
Pour durer dans l’annonce du Salut et l’engendrement du Royaume de Dieu, il faut se laisser enseigner par le Christ. Dans l’évangile de Matthieu, le mot « disciple » apparaît la première fois dans le passage qui introduit « Le sermon sur la montagne », avant même le départ en mission des disciples : « A la vue des foules, Jésus monta dans la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Et prenant la parole, il les enseignait. » (Mt 5, 1-2). Si leur expérience initiale de conversion et leur choix radical de suivre Jésus sont essentiels, cela ne suffit pas… Le disciple-missionnaire est d’abord disciple et il a besoin de se laisser enseigner par Jésus, de demeurer en lui pour produire du fruit et annoncer le Royaume…
Enfin, « L’attitude spirituelle qui caractérise les disciples, écrit le pape François (dans la Joie de l’Évangile), est la joie missionnaire ». L’évangéliste Luc raconte que Jésus désigne soixante-douze disciples et il les envoie en mission. Et en effet, au retour de mission, ils reviennent dans la joie, disant à Jésus : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom ! » (Lc 10, 1-20). Cette joie du disciple est signe que l’évangile a été annoncé et qu’elle porte du fruit. Cette joie est le produit « d’un mouvement de sortie et de don » qui emprunte des chemins toujours neufs et toujours plus lointains…
Propos recueillis par Vincent THOMAS