Un cours avec un séminariste



Trinité de Roublev

Le Père envoie son Fils nous révéler son Amour et nous communiquer son Esprit. Ces personnes que nous invoquons à chaque signe de Croix, dont le nom est sans cesse sur les lèvres des chrétiens, nous sont plus proches et plus intimes que nous ne l’imaginons parfois. Ce cours de près de 45 h a été le plus volumineux en heures du premier semestre, et avec raison. Ce mystère insondable de la Trinité est si riche, si profond, qu'il a intéressé toutes les générations de chrétiens et a d’innombrables conséquences pour la vie chrétienne. Le parcours que nous avons fait à travers l’histoire de la pensée chrétienne du mystère de la Trinité nous a révélé quelque chose de cette richesse.

Le temps me manquerait pour évoquer tout ce que nous avons vu, des préfigurations vétérotestamentaires, aux sources Évangéliques et apostoliques en passant par les pères de l’Église, la formalisation des conciles. Les querelles théologiques, les développements contemporains, avec le renouveau trinitaire du 20e siècle et particulièrement le Grundaxiom de Karl Rahner, capital pour comprendre le caractère organique et intrinsèquement lié de tous les traités de théologie. Si tout est lié, comme le dit le Pape François, c’est que tout est lié entre la Trinité en elle-même et la Trinité révélée et salvatrice que Jésus-Christ, le Fils est venu nous apporter.

Autre point qui a particulièrement retenu mon attention, la genèse de la théologie trinitaire à partir de concepts évoluant à partir de la philosophie grecque : particulièrement dans la précision du concept de personne grâce, l’apport des catégories aristotéliciennes à partir d’Augustin reprenant la relation, de Boèce la substance, et finalement de Thomas d’Aquin synthétisant les deux points de vue dans la relation-subsistante, permettant de donner une belle épaisseur au discours sur les personnes divines. Les apports contemporains sur la notion de personne, avec les questionnements posés par Karl Barth et Karl Rahner, prolongé par Kasper, m’ont beaucoup apporté : La personne divine vue comme manière d’être, sans être exclusif, cette conception me semble très existentielle : appelé à être fils, notre manière d’être, et donc d’agir, doit pouvoir trouver en Lui, le Fils éternel, son exemple toujours pertinent : se recevoir continuellement du Père, lui rendre continuellement l’action de grâce en nous donnant à lui à travers le don de nous-même aux autres. Tout un programme de vie spirituelle.

Encore un autre point très intéressant de notre cours de Trinité : les applications contemporaines en théologie politique d’abord, puis en théologie du pluralisme religieux, intégrant plus ou moins heureusement le concept de « semences du Verbe », à une forme de semences trinitaires discernables dans les religions et courants spirituels non chrétien. Au-delà du danger réel de syncrétisme, cette considération fait honneur à la transcendante proximité de Dieu avec toutes ses créatures : il cherche à se révéler, à se donner, à tous ceux qui le cherchent, plus ou moins consciemment, il est là sous divers voiles pour faire de nous ses fils. Cela étant, l'étude de cette théologie du pluralisme nous a permis d’en voir aussi les limites, en considérant la caractéristique d’universalité de la révélation du Fils de Dieu réalisée en Jésus-Christ.

Je suis très heureux d’avoir pu mieux saisir l’épineuse question du Filioque. Nous avons retracé le parcours des accords et divergences sur cette question du Filioque entre l’orient et l’occident, et particulièrement l’étude d’un document de clarification publié par Rome en 1995 m’a permis de mieux comprendre les processions intra-trinitaire et l’enjeu spirituel de cette question.

Au risque de schématiser je vais essayer de redire ce que j’en ai compris : le Fils est engendré du Père, et l’Esprit-Saint procède du Père par le Fils dans la théologie orientale. Tandis que la théologie occidentale déclare que le Fils est engendré du Père, et l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils. L’engendrement du Fils est un mode de procession particulier, la procession du Saint-Esprit est un autre mode et l’on a l’habitude de dire que le Fils et l’Esprit-Saint procèdent finalement tous deux du Père, bien que différemment. Cela ne semble pas incompatible, mais le problème est essentiellement sémantique : traduire c’est trahir, et dans les langues d’origine de l’expression et de la genèse de ces théologies, le grec et le latin, les mots ont des sens divers. Particulièrement le terme latin « processio » (qui a donné notre « procession ») peut se traduire de plusieurs manières en grec : proiesis ou ekporeisis. Mais en grec la signification de ces deux termes est différente. En théologie trinitaire : proiesis peut s’appliquer à l’engendrement du Fils et à la procession de l’Esprit, mais ekporeisis ne s’applique qu’à la procession de l’Esprit à partir du Père, car ekporeisis a dans sa signification un rapport à l’origine ultime, donc uniquement au Père, seul principe sans principe et source de toute la Trinité. En disant donc que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils, il nous aurait toujours fallu apporter la précision qu’Augustin avait déjà donnée : l’Esprit procède principaliter du Père et communiter du Père et du Fils. C’est-à-dire procession ayant son principe dans le Père, et se réalisant communément (en communion) avec le Fils. Pour encore moins de confusion, nous pourrions aussi conserver le terme grec d’ekporeisis, ekporèse pour parler de l’origine de l’Esprit-Saint à partir du Père par le Fils.

Mais alors quelle application à tout cela ? Eh bien l’engendrement du Fils, qui est par appropriation la Vérité, la Sagesse, la Parole du Père, est intrinsèquement lié, inséparable et pourtant réellement distinct avec l’ekporèse (la procession donc) de l’Esprit-Saint, qui est par appropriation l’Esprit d’Amour, l’Esprit de Bonté et de Communion. Si notre vie doit s’inspirer et même être élevée à la vie même de la Trinité, alors en nous aussi Vérité et Amour doivent s’unir en un seul mouvement, nos conceptions, nos jugements, nos considérations ne pourront être selon la Vérité et la Sagesse de Dieu sans tendre vers et sans être portée par l’Amour de Dieu son projet divin de communion universelle, dans le respect et la promotion des qualités personnelles de chacun.

On le voit ce mystère de la Trinité n’est pas loin de nous, au contraire, comme la Parole de Dieu, il « est dans ta bouche et dans ton cœur » Rm 10, 8

Théo Pélisson, archidiocèse de Sens-Auxerre, 3è année


Théo Pélisson