Nos frères de l’ANDC ont vécu leur experiment, du 13 janvier au 12 février 2025. Nous vous proposons d’aller à la rencontre d’Anthony Mapu de l’archidiocèse de Papeete, Lucas Piedelievre du diocèse de Basse-Terre Guadeloupe et Noé Gabriel du diocèse de Metz. Ils nous témoignent de leurs vécus :


Où avez-vous été envoyé ? Quelle a été votre mission ?


Anthony Mapu : Du 13 janvier au 12 février nous avons été envoyés, mes frères de l’ANDC et moi-même, en expériments, c’est-à-dire que nous sommes en mission dans une association pour être au plus près de la réalité de ceux qui sont très vulnérables.

Pour ma part, j’ai effectué mon expériment “Aux Captifs La Libération” à l’Espace Marcel Olivier (E.M.O.), dans le 9e arrondissement de Paris, près des personnes qui vivent dans la rue et souffrent de dépendance à l’alcool.

Durant cette période, j’avais comme mission principale d’accueillir ces personnes comme elles sont : avec leur addiction, leur histoire, leurs difficultés et leur joie. Ceci se traduisait concrètement par le fait de leur proposer de discuter sur des sujets divers et variés autour d’un café et d’un repas offert, ou bien en jouant simplement au jeu de carte UNO.

L’objectif était de pouvoir leur rendre l’humanité que la société leur a enlevé. C’est un constat dont j’ai été témoin puisque, au tout début de ma mission, nous sommes allés, avec certains des accueillis, au Grand Palais, à l’exposition de Chiharu Shiota, une artiste plasticienne japonaise. Tout au long du trajet, j’ai pu voir le regard des personnes que nous rencontrions sur nos accueillis et j’ai vu l’indifférence, voire le mépris.

Leur permettre d’être reconsidérés comme des êtres humains, en discutant et rigolant simplement avec eux, me donnait de la joie et une nouvelle considération à ma mission en tant que séminariste, mais surtout, en tant qu’homme croyant en Christ.


Lucas Piedelievre : J’ai été envoyé à l’association Saint-Jean l’Espérance, aux Besses à Pellevoisin. Cette association accueille des jeunes en difficulté, notamment ceux qui luttent contre des addictions, et leur offre un cadre de vie structurant pour les aider à se reconstruire. Cette association est encadrée par des frères de St-Jean, des bénévoles, des salariés, des médecins et des psychologues.

Ma mission consistait principalement à vivre avec eux leur quotidien, partager des temps de travail manuel, de prière et de vie fraternelle. J’étais là pour les accompagner, les écouter et, d’une certaine manière, être un signe d’espérance et de présence bienveillante.


Noé Gabriel : Une étape importante de cette année de discernement est l’« expériment » autrement dit un stage d’une durée d’environ un mois. Celui-ci a pour but d’expérimenter les différents types de pauvreté. Pour mon cas, j’ai été envoyé dans la communauté de l’Arche à Quimper (forcément Noé à l’arche quel hasard). Pour moi qui viens du Grand-Est, la découverte du Grand-Ouest s’est avérée surprenante et magique. Pour vous resituer l’Arche est une communauté répandue à travers le monde mais notamment en France, elle a pour objectif, l’accueil des personnes en situation de handicap mental.

Mon rôle était assez simple mais très prenant, j’étais une personne parmi les autres pour aider au quotidien. Le matin, j’aidais à faire le ménage au sein du foyer dans lequel je vivais, puis la préparation de la table pour le repas et la réception des containers contenants les repas, car oui la nourriture des midis en semaine est assurée dans une cuisine de la communauté ou travaillent des personnes en situation de handicap accueillies. L’après midi, la plupart du temps, c’était mon temps de repos de 14h à 17h30. Le soir, j’étais chargé de l’accompagnement pour le goûter avec toujours un espace d’autonomie pour les personnes accueillies. Après ce goûter, c’était un moment plus convivial de préparation du repas du soir pour certains, et pour d’autres, de jeux de société, ça c’était vraiment le meilleur moment. Cette proximité avec cette facilité d’échange et d’accueil auprès des personnes accueillies était un cadeau du ciel. Après le repas, c’était un temps plus calme de tisane, puis le coucher des personnes accueillies. Plus tard, nous pouvions nous retrouver entre « assistants » pour des jeux entre nous ou un moment de partage qui durait souvent longtemps.


Qu’est-ce qui vous a marqué durant votre experiment ? Un événement ? Un moment ? Une parole ? Un geste ?


A.M : Il y a énormément de situations qui m’ont marqué durant mon experiment. Je pourrais continuer à parler de notre visite au Grand Palais, où j’ai été touché par cette soif de Nico de vouloir s’approcher des œuvres et de s’émerveiller devant elles ; de nos parties de UNO où Marine m’appelait “champion” à chaque fois qu’on jouait ensemble ; ou encore d'Ali qui était toujours présent pour nous faire son tajine.

Mais ce que j’aimerais vous partager, c’est le simple fait qu’une semaine avant la fin, certains parmi les accueillis m’appelaient par mon prénom. Rien d’exceptionnel pour beaucoup, mais d’énorme pour eux. Cela montrait que j’avais laissé une trace par ma présence et que j’étais entré dans leur intimité. Pour les personnes qui vivent dans la rue, il est difficile d’être ancré quelque part ou d’être soutenu par quelqu’un d’autre que soi-même, encore plus pour ceux qui sont dépendants à l’alcool puisqu' ils vivent au jour le jour. Savoir que certains ont retenu mon prénom et l’utilisent pour m’appeler, m’a donné énormément de satisfaction. Je me dis : “j’ai marqué positivement une fraction de leur vie.”


L.P : Ce qui m’a particulièrement marqué, c’est la force des témoignages des jeunes accueillis et la fraternité qui se développe entre eux. Ils ont traversé des épreuves difficiles, mais malgré cela, ils cherchent à se relever.

Un moment fort a été une discussion avec l’un d’eux, qui m’a confié son parcours et son combat contre l’addiction. Il m’a dit avec beaucoup de sincérité : « Je sais que seul, je n’y arriverai pas, mais ici, on me redonne une chance. » Cette phrase m’a profondément touchée, parce qu’elle exprime à la fois l’humilité et l’espérance.

J’ai aussi été frappé par la puissance du travail manuel. Dans un monde où tout va vite, voir ces jeunes apprendre à redonner du sens à leur vie à travers des gestes simples m’a fait réfléchir sur ma propre manière de vivre.


N.G : En partant de cet expériment j’ai compris que le monde du social n’était pas ma vocation, mais que c’est une expérience que je recommande à chacun.


En quoi cette expérience vous a-t-elle marqué (spirituellement ou humainement) ? Est-ce que votre expérience rejoint le thème de l’année ou un verset de la Bible ?


A.M : (« J’écouterai le cri de la terre et des pauvres ») Lorsque vous vivez des moments à l’opposé de votre quotidien, certaines choses se révèlent, d’autres restent. Je me suis rendu compte qu’inconsciemment, j’étais devenu comme beaucoup : lorsque je croisais ces personnes vivant dans la rue, je détournais le regard, je les ignorais, comme si en agissant ainsi, elles disparaissaient à mes yeux.

Prendre conscience de cela m’a profondément bouleversé. J’ai compris qu’une part de mon humanité s’était effacée, remplacée par l’indifférence. Cette expérience m’a permis de la retrouver, ce qui m’a fait grandir, humainement et spirituellement.

En redécouvrant cette humanité, j’ai retrouvé ce Christ qui aime toute l’humanité, jusque dans sa pauvreté et sa misère.

« Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. » (Mt 11, 25)


L.P : Humainement, j’ai appris à regarder au-delà des apparences et à reconnaître en chaque personne une dignité inaliénable, quelle que soit son histoire. J’ai compris que l’écoute est un véritable acte de charité, et que parfois, le simple fait d’être présent peut déjà être un immense soutien pour quelqu’un en difficulté.

Spirituellement, j’ai perçu combien Dieu est présent dans la fragilité. Ces jeunes, dans leur pauvreté et leur combat, sont souvent les premiers à crier vers Lui, parfois même sans en avoir conscience. Cette expérience rejoint profondément le thème de notre année : « J’écouterai le cri de la terre et des pauvres. »

J’ai compris que le cri des pauvres, c’est aussi celui de ces jeunes qui cherchent un avenir meilleur. Et Dieu les entend. Il les accompagne à travers des lieux comme Saint-Jean l’Espérance. Cette expérience m’a rappelé combien notre mission, en tant que chrétiens, est d’être attentifs à ces cris et d’y répondre par notre présence et notre engagement.


Propos recueillis par Warren Sans-Souci



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